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La flotte de Napoléon III - Documents
Histoire La campagne de l’Adriatique en 1859
extrait de la Revue Militaire Suisse (1860), aimablement communiqué par notre ami Remy Sherer. Rapport du vice-amiral Romain Desfossés, commandant en chef l'escadre de la Méditerranée, à Son Excellence le Ministre de la marine. l’Italie en 1860 Vaisseau la Bretagne, Lossini Piccolo, le 23 juillet 1859. Monsieur l'amiral, Honoré par la confiance de l'Empereur du commandement en chef des forces navales de la Méditerrané, je dois compte à Votre Excellence de la répartition et de l'emploi que j'en ai du faire, d'après les termes de vos instructions, au moment où elles ont eu pour mission spéciale de seconder, dans la mer Adriatique, les grandes opérations de l'armée de Sa Majesté. Ces forces navales comprenaient dix vaisseaux de ligne et quatre frégates à hélice; deux de ces vaisseaux et deux frégates se trouvaient déjà détachés sous le commandement particulier du contre-amiral Jurien de La Gravière pour assurer le blocus effectif de Venise. Votre Excellence m'avait prescrit de laisser quatre vaisseaux et deux frégates en réserve à Toulon, sous les ordres du contre-amiral Jehenne : c'était donc avec quatre vaisseaux, y compris la Bretagne, qui porte mon pavillon, que je devais me rendre dans le golfe de Venise, et y réunir les éléments divers de la flotte expéditionnaire. Le plus important de ces éléments, si l'on considère la nature des eaux où nous devions opérer, était une nouvelle escadre récemment constituée par les ordres de Sa Majesté et qui, sous le nom de flotte de siège, venait, avec cinq avisos et six transports à hélice, compléter 1'ensemble des forces navales placées sous mon commandement supérieur. La flotte de siège fut confiée à l'habile direction du contre-amiral comte Bouët-Willaumez, qui arriva à Toulon le 1° juin pour activer l'appropriation spéciale et l'armement des bâtiments destinés à en faire partie. Elle se composait de quatre frégates à roues et de vingt-cinq batteries flottantes et canonnières, pour la plupart d'un faible tirant d'eau, bardées de fer par le travers ou par l'avant, c'est-à-dire admirablement propres à démanteler les fortifications. Les frégates à roues et les batteries flottantes furent armées si rapidement que, dès le 12, le contre-amiral Bouët-Willaumez put partir pour l'Adriatique avec cette première et lourde division de la flotte de siège. Apres une relâche forcée de trois jours à Messine, pour renouveler son approvisionnement de charbon, il atteignit, le onzième jour, la baie d'Antivari que Votre Excellence m'avait désignée comme point de rendez-vous général de la flotte expéditionnaire. Afin d'avancer autant que possible le moment de cette réunion, je m'étais décidé ä faire remorquer chaque groupe de canonnières, au fur et à mesurent qu’elles seraient prêtes, par un de mes quatre vaisseaux. L'Arcole partait le 15 avec six de ces petits bâtiments. L’Alexandre Le 18, au point du jour, le vaisseau l’Alexandre suivait, avec six autres canonnières ä la remorque, et, le soir du même jour, je quittais Toulon avec la Bretagne et deux vaisseaux trainant après nous nos dix dernières canonnières, et laissant à Toulon le vaisseau le Redoutable qui devait, trois jours après, conduire le dernier groupe de la flotte, composé de deux transports chargés de munitions de guerre et de deux canonnières toscanes. Le 30 juin, toutes ces forces, après des difficultés de navigation que les marins devinent, et qu'il est inutile par conséquent d'énumérer à Votre Excellence, étaient réunies à Antivari, où elles se ravitaillaient en charbon au moyen des nombreux transports du commerce que vous aviez d'avance dirigés sous escorte vers ce port neutre. J'y avais été rallié la veille par une division navale sarde, composée de deux frégates à hélice et de trois corvettes et avisos à roues. Cette division, commandée par le capitaine de vaisseau Tholozano, s'était immédiatement rangée sous mon commandement. Du 30 au soir au 1er juillet à midi, toute la flotte partit d'Antivari par groupes, comme elle y était venue; mais le premier de ces groupes que je conduisais, et que je dirigeai avec toute la rapidité possible vers le fond de l'Adriatique, où j'avais mission de m'emparer de l'ile de Lossini, était composé, en vue d'une résistance à vaincre, de la manière suivante : Les vaisseaux la Bretagne et le Redoutable ; Les frégates le Mogador (contre-amiral Bouët-Willaumez) et l’lsly ; La frégate sarde Victor-Emmanuel ; Huit canonnières; une batterie flottante. L'ile de Lossini, située ä l’entrée de l'archipel de Quarnero, est un point central entre Venise, Trieste, Pola, Fiume et Zara, qui sont les principaux établissements maritimes de l'Autriche sur le littoral de la Vénétie, de l’Illyrie, de l’Istrie, de la Hongrie et de la Dalmatie. La possession de cette ile était pour nous d'une importance extrême, et devait nous assurer une excellente base d'opérations. L'ennemi ne pouvait manquer de le comprendre, et nous devions dès lors penser qu'il chercherait à nous opposer une résistance que nous étions d'ailleurs en mesure de briser. la frégate sarde Victor-Emmanuel II n'en fut rien, et, soit crainte de nous laisser une garnison prisonnière, soit plutôt impuissance de se garder sur toute l'étendue des côtes menacées par la flotte alliée, les Autrichiens avaient complètement abandonné à elle-même la nombreuse population de Lossini et désarmé les tours Maximiliennes qui dominent la ville et le port Augusto. Après avoir substitué, sur la ville et sur les tours de Lossini Piccolo, les couleurs françaises et piémontaises à celles de l'Autriche, je fis savoir aux habitants que je les traiterais comme des compatriotes, si, de leur côté, ils nous assistaient de toutes leurs ressources. Je fus compris de cette population essentiellement pacifique et commerçante; aussi je jugeai à propos de ne pas user du droit que j'avais de confisquer 14 ou 15 navires de commerce mouillés dans le port, après m'être assuré qu'ils étaient bien la propriété d'habitants de l'ile. Alors commencèrent les préparatifs de l'attaque des côtes de la Vénétie. Les batteries flottantes reçurent le complément, de leur artillerie et se démâtèrent entièrement, afin d'être moins vulnérables aux coups de l'ennemi; les canonnières en firent autant. Les unes et les autres, dirigées par le contre-amiral Bouët-Willaumez et le capitaine de vaisseau de La Roncière le Nourry, se rendirent dans une baie voisine pour y exécuter des tirs d'exercice que ces bâtiments, armés en toute hâte, et pourvus d'ailleurs d'excellents matelots canonniers brevetés, n'avaient encore pu faire convenablement. Le commandant Bourgeois, du Mogador, faisait en même temps, et avec succès, des essais répétés de puissants pétards sous-marins pour faire sauter des estacades imitées de celles qui barraient l'entrée des trois ports de Venise : Chioggia, Malamocco et Lido. Trois jours à peine avaient suffi pour nous établir fortement à Lossini, dont je confiai la garde à 400 marins et 400 soldats d'infanterie de la marine, sous le commandement supérieur du capitaine de frégate Duvauroux, officier énergique, instruit et vigilant. Des magasins, loués en ville, se remplissaient de nos approvisionnements en vivres, en charbon; des appareils distillatoires se montaient sur la plage, pour nous fournir de l'eau par la distillation de l'eau de mer; enfin, un hôpital de 120 lits, placé à terre avec nos ressources, recevait les malades des bâtiments de flottille, tandis que nous disposions un des transports mixtes de la flotte pour recevoir les blessés le jour du combat. Pendant qu'une partie de nos infatigables matelots accomplissaient ces travaux de première urgence, sous l'énergique et active direction du contre-amiral Chopart, mon chef d'état-major, les autres complétaient le charbon des bâtiments, dégréaient et démâtaient les batteries blindées, ainsi que les petites canonnières, travaillaient à établir sur des trabaccoli capturés des mortiers de 0,32 centimètres que Votre Excellence m'avait accordés avant mon départ de Toulon. Le 6 juillet, deux grands transports mixtes arrivaient à Lossini, m'apportant, dans le moment le plus opportun, les 3000 hommes d'infanterie de ligne faisant partie des troupes que l'Empereur avait ordonné d'adjoindre à l'expédition. Je les fis immédiatement repartir sur les vaisseaux; j'appris en même temps que le général de division de Wimpffen venait, par ordre de Sa Majesté, pour prendre le commandement des troupes de débarquement. Le 7, un aviso que j'avais envoyé à Rimini porter une dépêche télégraphique par laquelle je rendais compte à Votre Excellence de la prise de possession de Lossini et lui demandais les ordres de l'Empereur, ainsi que la recommandation m'en avait été faite avant de quitter Toulon, rentra au port Augusto, porteur d'une dépêche qui y attendait l'arrivée de l'escadre, et par laquelle l'Empereur m'ordonnait d'attaquer les défenses extérieures de Venise. La flotte était prête; je fixai le départ au lendemain matin, 8 juillet, laissant seulement deux canonnières toscanes à la disposition du commandant supérieur pour concourir à la sécurité de notre établissement. L'attaque combinée de la flotte et du corps expéditionnaire devait avoir lieu le 10 juillet, et j'en avais avisé Votre Excellence dès le 7, par le télégraphe de Rimini. Personne ne doutait de son succès. Le 8 juillet, au point du jour, la flotte était sous vapeur et sortait de Lossini lorsque parut le vaisseau l'Eylau, expédié la veille au soir par le contre- amiral Jurien, pour m'apporter une lettre du gouverneur-général de la Vénétie et une dépêche de Vérone par laquelle le général Fleury, aide-de- camp de l'Empereur, en m'annonçant qu'une suspension d'armes venait d'être signée, m'ordonnait, de la part de Sa Majesté, de suspendre toute hostilité. Un instant après un aviso parlementaire expédié de Zara me ralliait, et son capitaine me remettait une note par laquelle le gouverneur général de la Dalmatie me donnait également avis de la suspension d'armes. Cet événement imprévu ne devait pas modifier nos dispositions de départ, et je pensais même que la présence d'une flotte nombreuse devant Venise emprunterait à la suspension des hostilités une nouvelle et grande importance. la Bretagne Toutes les remorques prises, nous nous dirigeâmes donc vers les plages vénitiennes, et le lendemain, au lever du soleil, la flotte entière, forte de 45 bâtiments de guerre de tous rangs, mouillait sur cinq lignes parallèles à la côte, en vue des dômes de Saint-Marc et d'une population agitée, à ce moment solennel, de sentiments bien divers. J'expédiai immédiatement un officier parlementaire à Malamocco, porteur d'une lettre par laquelle j'avertissais le feld-maréchal que je suspendais toute hostilité. Je lui demandais en même temps qu'un sauf-conduit me fût accordé pour un officier que je désirais envoyer au quartier-général de l'Empereur, par le chemin de fer de Venise à Vérone. Il me fut répondu que l'on allait en référer à Sa Majesté Apostolique elle-même. Le 10 au matin, un aviso portant le pavillon parlementaire vint, le long de la Bretagne, se mettre à ma disposition pour porter l'officier que j'avais demandé à envoyer près de l'Empereur. Mon premier aide-de-camp, le capitaine de frégate Foullioy, s'y embarqua, porteur d'un rapport dans lequel je rendais compte sommairement à Sa Majesté de la Situation de la flotte, de ce qu'elle avait fait jusqu'à ce jour et de ce qu'elle était prête à entreprendre au premier signal qui lui en serait donné. Mon aide-de-camp était de retour le 12 au matin; il avait été accompagne pendant son voyage au travers de l'armée ennemie par des officiers autrichiens et traité avec une extrême courtoisie. Arrivé au quartier-général français, à Valeggio, il eut l'honneur d'être reçu le 11 au matin par l'Empereur, qui voulut bien le questionner longuement sur la flotte et sur ses moyens d'action. Sa Majesté eut la bonté de lui remettre pour moi la lettre autographe suivante : « Valeggio, le 11 juillet 1859. Mon cher amiral, Une suspension d'armes est conclue jusqu'au 15 août; je vous prie donc de renvoyer à Lossini tous les bâtiments qui n'ont pas besoin de tenir la mer. Si la paix ne se fait pas, je compte sur l'énergie de la flotte et sur l’habileté de son chef pour concourir, avec l'armée de terre, au but que je me suis proposé. Employez le temps jusqu'au 15 août à exercer les équipages, à faire des reconnaissances sur toutes les côtes, et à tâcher d'avoir des renseignements sur les points faibles de l'ennemi. Recevez l'assurance de mon amitié. NAPOLEON. » Je termine ici, Monsieur l'amiral; le reste est connu de Votre Excellence; elle sait que l'abnégation est une vertu nécessaire et essentielle de notre profession : les marins de l'Adriatique, déçus de l'espoir de voir couronner de grands efforts d'activité par une participation honorable aux glorieux travaux de l'armée, savent encore se réjouir des triomphes auxquels il ne leur a pas été donné de concourir les armes à la main, et s'associer aux joies ainsi qu'à la reconnaissance de la patrie. Je prie Votre Excellence d'agréer l'hommage de mon profond respect. Le vice-amiral, sénateur, commandant en chef l'escadre de la Méditerranée, Romain Desfossés.